Dans son numéro du 1er mai, le magazine L’actualité présente une recherche de la journaliste scientifique Valérie Borde sur les dangers liés à la consommation simultanée de nombreux médicaments pour traiter de multiples problèmes de santé.
Les chiffres rapportés par le magazine donnent le vertige : chez les 65 ans et plus, un Canadien sur quatre prend plus de 10 médicaments différents par jour, selon l‘Institut canadien d’information sur la santé. D’où l’inquiétude de plusieurs professionnels de la santé rapportée par L’actualité.
Pour la gériatre Cara Tannenbaum, chercheuse à l’Institut universitaire de gériatrie de Montréal, « un médicament sans effet secondaire, ça n’existe pas ». Ainsi, plus on consomme de médicaments, plus le risque d’effets secondaires de l’une ou de l’autre des interactions entre médicaments ou de contre-indications augmente, signale-t-elle avec justesse.
Le magazine rapporte aussi les propos de Judith Choquette, pharmacienne propriétaire de Longueuil, qui vit quotidiennement avec ce phénomène auprès d’une clientèle composée majoritairement d’aînés défavorisés, souvent aux prises avec de multiples maladies. « Je suis comme un gardien de but qui intercepte les risques d’interactions et les médicaments inappropriés », dit-elle. Plusieurs fois par jour, la pharmacienne doit rappeler des médecins de famille, des urgentistes ou des spécialistes pour tenter de faire modifier des ordonnances qu’elle estime risquées. Heureusement qu’elle veille sur ses patients!
Est-il possible de renverser cette tendance à la surmédicamentation qui résulte souvent du traitement de maladies multiples et/ou chroniques? Il semble bien que oui, nous dit l’auteure de l’article, constatant que de nombreux aînés ont aujourd’hui retrouvé une meilleure qualité de vie après avoir diminué le nombre de médicaments dans leur pilulier. Ces gens sont les premiers bénéficiaires d’un mouvement qui commence à se répandre dans les systèmes de santé partout dans le monde : la déprescription, née du constat terrible que, parfois, les médicaments font plus de mal que de bien.
Faut-il alors mettre les pilules à la poubelle? « Surtout pas ! » prévient la gériatre Cara Tannenbaum. « Les médicaments sauvent des vies, préviennent des maladies et soulagent des souffrances. Et il ne faut jamais les arrêter sans précautions, ça peut être très dangereux. » Faire le ménage d’un pilulier, c’est un travail qui nécessite l’intervention d’un professionnel de la santé. Et l’expert du médicament, c’est le pharmacien.
L’actualité fait état de plusieurs expériences de déprescription qui ont connu des succès étonnants en CHSLD. Benoît Cossette, professeur de pharmacie à l’Université de Sherbrooke, qui a supervisé la partie pharmacologique de ces expériences, a lancé plusieurs autres initiatives pour essayer de rationaliser les ordonnances aux aînés en dehors des CHSLD. « Le plus important, c’est la coordination : il faut qu’il y ait une personne qui soit responsable d’avoir une vision d’ensemble des soins pharmaceutiques », explique-t-il. Cela peut sembler évident, mais ce n’est pas ainsi que le système fonctionne. Dans bien des cas, en effet, la polypharmacie d’un aîné résulte de ses consultations avec de multiples médecins, urgentistes, spécialistes et omnipraticiens, vus au fil du temps.
La pharmacienne propriétaire Judith Choquette estime que les médecins ont souvent une vue très partielle du dossier. « L’urgentiste se dit que le médecin de famille va régler le problème, parce qu’il connaît la personne ; le médecin de famille n’ose pas contester les ordonnances des spécialistes ; ces derniers voient chacun seulement une partie du problème », croit-elle.
Les pharmaciens pourraient en faire beaucoup plus pour optimiser l’ensemble de la médication du patient, car ils ont à la fois la vision globale du dossier et les compétences. Ce sont eux les véritables spécialistes des médicaments! Par exemple, si la revue de médicaments était remboursée aux patients – une demande que l’AQPP réitère depuis longtemps au gouvernement – on ferait de grands progrès à ce chapitre. Les économies engendrées par la déprescription couvriraient largement ce remboursement. Certains prétendront que les pharmaciens propriétaires se tirent dans le pied en prônant une revue de médicaments qui risque de leur faire vendre moins de médicaments. C’est mal connaître la profession de pharmacien. La seule préoccupation du pharmacien demeure le mieux-être de ses patients.
Pour Yann Gosselin-Gaudreault, pharmacien propriétaire à Alma, ce n’est pas une question de prendre trop ou pas assez de médicaments; c’est plutôt une question de prendre les bons médicaments pour les bonnes raisons. Il faut évaluer le tout selon la qualité et non la quantité, dit-il. « Nous, les pharmaciens, nous sommes les spécialistes du médicament, donc c’est souvent en consultant le dossier ou, par exemple, lors du traitement d’une nouvelle prescription qu’on peut constater qu’un médicament devient inapproprié ou que le patient est victime d’une cascade médicamenteuse. On peut alors intervenir pour optimiser le traitement. »
M. Gosselin-Gaudreault déplore que les demandes de revue de médicaments ne soient pas fréquentes. « Peut-être est-ce en raison d’un manque d’information ou parce qu’au Québec, contrairement à d’autres provinces, passer en revue la liste des médicaments d’un patient n’est pas encore remboursé par le gouvernement… J’espère que, dans le futur, on percevra cette intervention à sa juste valeur et que les patients pourront être remboursés, » conclut-il.
Rappelez-vous que le pharmacien est le seul véritable spécialiste du médicament. N’hésitez jamais à demander son avis si vous éprouvez des problèmes liés à la prise simultanée de multiples médicaments. Il saura vous conseiller adéquatement, car son rôle est d’optimiser votre traitement médicamenteux afin de favoriser votre bien-être.