Arrivons en 2024 : les pharmaciens n’ont plus à faire leurs preuves
Par Benoit Morin, président de l’AQPP
Après avoir lu le mémoire de la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ) sur le projet de loi 67 et lu les commentaires de son président, M. Marc-André Amyot, dans un récent article de Profession Santé sur l’élargissement du champ de pratique des pharmaciens, j’ai été déçu de lire les mêmes vieilles rengaines que je croyais choses du passé. En effet, la notion de conflit d’intérêts liant la prescription de médicaments par les pharmaciens pour des maladies courantes et la distribution des médicaments sont des craintes désuètes qui n’avaient déjà pas lieu d’être lors des débats sur le projet de loi 41 adopté en 2011 et le 31 adopté en 2020. Personne n’a vu la vente des médicaments traitant les infections urinaires grimper en flèche après l’adoption de ces projets de loi donnant plus d’autonomie aux pharmaciens!
Au Québec, une pharmacie doit obligatoirement être détenue par un pharmacien. Ce droit de propriété exclusif vise justement à assurer l’indépendance professionnelle du pharmacien et à faire en sorte que l’intérêt du patient soit au cœur de ses décisions. En tant que membres de l’Ordre des pharmaciens du Québec (OPQ), les pharmaciens propriétaires sont en effet d’abord et avant tout des professionnels de la santé qui agissent en vertu de leur code de déontologie. La FMOQ reconnaît d’ailleurs elle-même les bénéfices du droit de propriété exclusif sur l’indépendance professionnelle, puisqu’elle en fait la promotion pour ses membres dans son mémoire.
C’est près de 7000 pharmaciens (dont 5000 salariés et 2000 propriétaires) qui travaillent dans nos officines au Québec : 7000 professionnels de la santé qui effectuent près d’un million de consultations en pharmacie chaque semaine. L’élargissement du rôle des pharmaciens permettra notamment, au terme d’une consultation pour une maladie courante, d’entamer immédiatement le traitement requis, plutôt que de retourner le patient dans le système de santé. Les pharmaciens œuvrent en pleine connaissance de leurs limites professionnelles et dans l’intérêt du patient. L’évaluation de la condition d’un patient est un acte distinct de la prescription d’un médicament. Si, après évaluation, le pharmacien juge qu’un traitement médicamenteux n’est pas requis, il n’émettra tout simplement pas d’ordonnance.
Soyons clairs, les pharmaciens ne souhaitent pas remplacer les médecins. Le projet de loi 67 élargit certes le champ de pratique des pharmaciens, mais cela ne réduit en rien le rôle
crucial du médecin. C’est plutôt une façon d’enfin permettre aux pharmaciens d’agir en adéquation avec leur formation et d’être pragmatique pour répondre aux besoins du système de santé. Les pharmaciens auront enfin les moyens d’aider les patients qui se tournent vers eux à la hauteur de leur compétence. La collaboration entre médecins et pharmaciens sera toujours essentielle et si le pharmacien ne dispose pas des informations cliniques nécessaires au moment d’évaluer un patient parce qu’il n’a pas accès au dossier médical électronique (DME), il s’assurera de communiquer avec le médecin de famille. Les pharmaciens utiliseront leur jugement professionnel et ne traiteront pas les maladies courantes s’ils sont incapables d’évaluer l’ensemble des risques et bénéfices pour le patient. Faut-il répéter qu’ils sont membres d’un ordre professionnel, au même titre que les médecins?
Ainsi, le pharmacien ne remplace pas le médecin tout comme le médecin ne remplace pas le pharmacien. Le pharmacien est l’expert du médicament et il maîtrise la complexité du circuit du médicament. La tenue des pharmacies et la vente des médicaments font l’objet de plusieurs balises et règlements, dont Santé Canada et l’Ordre des pharmaciens du Québec assurent le respect. C’est ce qui explique pourquoi la vente de médicaments est encadrée. Pour ce qui est des craintes de la FMOQ relativement à la diminution de nos heures d’ouverture attribuée à la rareté de main-d’œuvre, j’estime que tous peuvent s’entendre pour dire que les pharmaciens du Québec demeurent sans contredit, et comme ils l’ont toujours été, les professionnels de la santé les plus accessibles pour la population.
La FMOQ a des craintes et nous les comprenons. C’est un changement important qui arrive et il y aura une période de transition. Les pharmacies devront s’ajuster et aménager leurs espaces. C’est pour cette raison qu’il est important que le gouvernement rémunère adéquatement les activités cliniques offertes par les pharmaciens et qu’il s’assure de faciliter le financement pour que les pharmaciens propriétaires puissent continuer d’aménager leurs officines de façon optimale. Donnons-nous le temps de jeter des bases solides pour permettre un déploiement efficace de ce projet de loi, au bénéfice d’une meilleure fluidité dans la trajectoire de soins des patients et d’une meilleure collaboration entre professionnels. C’est en travaillant tous ensemble que nous allons renforcer la première ligne de soins, pour que les patients en ressortent gagnants.